L'extinction de la faune extraordinaire des îles méditerranéennes au Quaternaire
Il y a 5 à 15000 ans, le bassin méditerranéen s’est appauvrie de plusieurs dizaines d’espèces et en particulier celles vivant sur les îles méditerranéennes. Du fait du jeu de l’évolution en milieu clos, ces espèces locales étaient totalement différentes de celles du continent. Ces espèces extraordinaires n’existent plus aujourd’hui. A quelle époque ces espèces se sont-elles éteintes? L’implantation de l’homme préhistorique sur les îles et la chasse est-elle la cause de ces extinctions? Ou bien faut-il invoquer les perturbations climatiques majeures?
I. L’écosystème des îles méditerranéennes il y a 15000 ans
1.1. Le biotope
Si l’on excepte la Sicile et Malte qui sont réunies de
temps à autre reliées à l’Italie continentale
du fait du mouvement de la croûte terrestre et qq îles accessibles
de Grèce à pied, la plupart des îles méditerranéennes
ont été toujours séparées du continent par
la mer depuis plus de 3 millions d‘années.
Sur l’échelle chronologique, on est à la fin paléolithique
supérieur-début néolithique. Au cours du Tardiglaciaire,
les derniers soubresauts ont été particulièrement
brutaux. Tardiglacière= Période d'alternance climatique
très brutale s'étendant de 15000 à 9200 avant JC.
1.2. La biocénose : la faune et son adaptation biologique à la vie insulaire
Du fait de la réduction
de surface des territoires et l’isolement, la biodiversité
des espèces insulaires est très faible (voir sur ce site),
comme par exemple 3 mammifères à Majorque, 6 en Corse
; ce qui est différent de la Provence où vivaient une
cinquantaine d’espèces. C’est l’effet de fondation.
Ceci implique la consanguinité, ce qui favorise l’expression
de gènes rares qui peuvent aboutir à leur extinction rapide
ou à une aide à leur adaptation rapide. Cette faible biodiversité
locale réduisait la compétition entre les espèces
et leur permettait de coloniser des niches biologiques vides qu’elles
n’auraient pu coloniser sur le continent. Durant ce long isolement,
l’évolution biologique a abouti à des formes différentes
de la faune continentale. Elle se caractérise par :
a/ Le gigantisme
C’est le cas des petites espèces comme des musaraignes,
lérots, mulots ou souris 1,5 à 2 fois plus grandes au
Pléistocène supérieur aux Baléares, en Corse,
en Sardaigne, à Chypre.
b/ Le nanisme
C’est le cas des grands mammifères comme des cervidés,
cerfs, daims, mégacéros aussi haut que des chèvres,
le nain de Crète haut de 40cm, l’hippopotame nain et l’éléphant
nain de Malte haut de 70cm.
(Source: The First Eden: The Mediterrranean World and Man by David Attenborough,
Little Brown, Boston,1987.)
c/ La réduction des capacités locomotrices
La chèvre des Baléares qui en plus d’avoir une petite
taille, avait ses extrémités de ses membres très
réduites, ce qui équivaut une forte dégradation
des aptitudes locomotrices. De plus, ses orbites avait migré
en position frontale comme chez les chouettes, et ses mâchoires
ressemblaient plus à celles d’un gros lapin qu’à
celles d’une chèvre. Cette adaptation a été
rendue possible car le plus grand prédateur de l’époque
dans le îles méditerranéennes est un canidé
pas plus grand qu’un renard : le cynotherium.
d/ Des Densités démographiques importantes
Les conditions de vie précaire, c’est-à-dire la
pénurie en ressource alimentaire, renforcées par les rudes
alternances climatiques du Quaternaire ont favorisé la survie
des populations à fort taux de reproduction, ce qui impose d’importantes
densités démographiques. Ceci explique en partie le nanisme
des grands mammifères et le gigantisme des micromammifères.
e/ Une meilleure résistance aux variations climatiques
Après avoir adopté des stratégies adaptatives adéquates
et s’être implanté de manière durable, la
faune insulaire était plus stable dans sa composition face aux
alternances climatiques du Pléistocène supérieur
que la faune continentale qui a subi des remaniements importants.
Donc il est a priori assez peu probable que toutes les espèces insulaires aient pu s’éteindre en un temps assez court pour de seuls raisons climatiques. Voyons donc maintenant l’hypothèse de la surchasse par l’homme préhistorique.
II. L’homme responsable de l’extinction de la faune insulaire ?
2.1. L’arrivée
de l’homme sur les îles
Elle est liée à la navigation. Des fouilles récentes
ont montré l’absence de présence humaine au Tardiglaciaire
entre -15000 et -9000 ans dans la grotte de Gritulu en Corse. Les implantations
humaines certaines datent du 9ème millénaire avant notre
ère dans l’abri d’Aetokramnos à Chypre, et
du 9ème et 8ème millénaire avant notre ère
dans le grand abri du Monte Leone à Bonifacio. A partir du Néolithique,
l’homme a peu à peu colonisé toutes les îles
méditerranéennes. La présence humaine est un phénomène
récent timidement commencé et généralisé
entre les 6ème et 4ème millénaires avant notre
ère.
2.2. L’hypothèse
vraisemblable de la surchasse
L’extinction globale pourrait être liée à
l’irruption soudaine. C’est d’autant plus vraisemblable
que ce phénomène est attesté ailleurs par des témoignages
archéologiques très explicites, voire des textes historiques
comme par exemple les oiseaux géants de Nouvelle-Zélande
ou de Madagascar.
Un archéozoologue au CNRS, JD Vigne, à partir de données
d’une étude américaine, a calculé l’extinction
totale de la faune par la chasse en Corse en moins de 30 jours. Ceci
est révélateur de la grande vitesse de massacre. L’hypothèse
d’une extinction brutale par l’homme de toutes les grandes
espèces endémiques des îles méditerranéennes
est donc vraisemblable. Toutefois, il faut apporter une preuve archéologique
de cette chasse par l’homme.
2.3. Une preuve par l’archéologie
plus difficile
Il existe peu de sites.
a/ L’abri d’Aetokramnos à Chypre
Sur une coupe du remplissage sédimentaire, dans la couche la
plus profonde, on y trouve une accumulation de restes d’éléphants
et hippopotames nais et quelques traces de feu et outils taillés.
La couche supérieure résulte de l’occupation humaine
avec des ossements de coquilles et des os de poissons et oiseaux. L’équipe
américaine d’Y. Simmons y voit une chasse intensive. Mais
d’autres chercheurs israéliens et anglais ont souligné
le manque de traces sur les os et les datations radiométriques
ont échoué. Ils proposent des remaniements stratigraphiques
ultérieurs comme explication.
b/ La grotte de Gritulu en Corse
Sa stratigraphie montre que la dernière couche dans laquelle
le cerf de Caziot, petit mégacéros de la taille d’un
daim, apparaît avant son extinction définitive ne livre
aucun indice de présence humaine. C’est quelques cm plus
haut qu’apparaissent (fin du 8ème millénaire avant
notre ère) les premiers outils du Mésolithique. Ces données
empêchent d’éliminer l’hypothèse d’une
extinction naturelle du Caziot suivie d’une installation de l’homme.
Sur les grandes îles de la Méditerranée vivaient
des espèces locales totalement différentes de celles du
continent : des éléphants nains en Sicile et à
Malte, des hippopotames nains à Chypre, la chèvre des
Baléares… Aucune n’existe plus. Alors qu’elles
avaient su résister à l’extinction par un processus
d’évolution biologique caractéristique des espèces
subissant un long isolément géographique, il est peu probable
qu’elles aient disparu pour de seules raisons climatiques. La
seule hypothèse qui tienne est sans doute l’irruption soudaine
d’hommes préhistoriques. La pratique de la chasse sur des
animaux sans grande défense équivaut à un massacre.
Alors pourquoi donc ne trouve-t-on jamais de preuves non-ambiguës?
Peut-on vraiment éliminer l’incidence des bouleversements
climatiques du début de l’Holocène sur la faune
insulaire? Pour répondre à cela, des preuves archéologiques
sont nécessaires.